dimanche 22 juin 2008

Qu'est-ce que le Droit?

Comment définir le droit?
Pour répondre à cette question, il faut envisager le droit sous deux aspects:
En tant que phénomène juridique, on se demande qu'est-ce que la règle de droit? Quelles sont ses caractéristiques? (c'est le point de vue du juriste).
En tant que phénomène humain social, on se demande quel est son rapport avec la justice, la politique, l'économique et comment se distingue-t-il de ces phénomènes ? (c'est le point de vue du philosophe).

On peut se poser deux sortes de questions au sujet du droit:
quid juris? i.e. quelle est dans tel ou tel procès la solution de droit? quelle règle, quelle loi s'applique dans ce cas précis? Qu'est-ce qui est de droit?
quid jus? i.e. qu'est-ce que le droit?

Selon Kant, c'est la science juridique qui permet de répondre à la première question. On se demande quelle loi s'applique. La seconde relève de la philosophie. Que signifie le terme droit, comment le définir, qu'est la justice, l'idée de droit, etc. Cette distinction est d'autant plus utile que le terme droit est employé dans plusieurs acceptions dont voici les principales:

  • avoir un droit: ce qui est exigible; je travaille j'ai droit à un salaire;
  • avoir le droit de: la permission de faire ou de ne pas faire;
  • avoir eu droit à: avoir subi: exemple: j'ai eu droit à un mauvais traitement, ou à un traitement de faveur;
  • de quel droit? : en vertu de quelle autorité?
  • payer des droits: des redevances, sommes perçues;
  • à bon droit: de façon juste et légitime;
  • droits acquis: l'état de fait (convention coll).

On peut aussi prendre le mot droit dans un sens subjectif: il signifie alors les prérogatives personnelles conférées aux citoyens qui peuvent en vertu de cela faire quelque chose ou exiger des autres...exemple: qu'on respecte ma dignité, mon honneur, ma renommée...

Dans un sens objectif il est l'ensemble des règles qui permettent le fonctionnement normal correct de l'état social. Dans ce sens, il existe deux positions relevant de l'étymologie du terme droit:
les uns (penseurs, philosophes) font dériver la racine latine "jus" de justitia; ils ont tendance à rapprocher le droit de la morale et à parler de droit naturel.

D'autres prennent comme racine de droit "directum", dérivé de dirigere (diriger) et "jus" dérivé de "jussus", "jubere", ordonner. On met ici l'accent sur l'autorité et l'aspect social du droit.

"Entre ces acceptions diverses, écrit Dabin, existent évidemment des liens, ce qui explique les chevauchements de terminologie. C'est ainsi que le droit subjectif, en tant que dérivé du droit objectif, se situe logiquement dans le prolongement de celui-ci; que le droit positif ne peut être envisagé en dehors de toute référence à la justice; que le juriste doit prendre attitude devant le problème du droit naturel...

Il n'en est pas moins vrai que le domaine de la "juridicité", et, par conséquent le champ d'investigation propre au juriste, est le droit positif (existant ou considéré dans son essence) et que, pour la science juridique, le droit, sans autre qualificatif, est d'abord le droit positif."

I- Le droit selon les juristes

Les juristes, de façon générale, définissent le droit en définissant la règle de droit:
La règle de droit est une règle sociale, établie par l'autorité publique, permanente et générale dans son application, et dont l'observation est sanctionnée par la force.

  • Caractère social

Le droit vise l'organisation correcte de la société. Ne pas confondre le droit avec d'autres règles sociales relevant par exemple de l'usage (qui n'est pas imposé mais spontané), de la morale ou de l'éthique. Le droit ne vise pas le perfectionnement de la personne, de l'individu. C'est un lien qui vient du fait qu'on est "sociétaire", membre de la société. La règle de droit cherche des solutions justes dans l'organisation de la société. Elle cherche des solutions pratiques. Donc fait des compromis. (Summa justitia pessima injustitia, la plus grande justice est la pire injustice).
On peut suivre une règle de droit sans suivre la morale. On peut arriver à du droit injuste. (C'était légal mais illégitime)
Exemple:

-le rapatriement de la Constitution Canadienne en 1982 était légal (parce que non prévu par la loi, donc permis) mais non légitime.
-une opinion juridique... genre: "t'as le droit mais..."

  • Caractère obligatoire

Les citoyens reconnaissent à la règle de droit un caractère obligatoire, comme nécessaire au maintien de la vie sociétaire. En fait, l'impératif du droit est catégorique comme la morale. Il n'est pas conditionnel, même s'il dépend des conditions reconnues et déterminées par la loi. Une fois ces conditions posées, il est obligatoire. Exemple: Si le contrat existe, il doit être respecté. Il indique aux membres du groupe (gouvernés et gouvernants) ce qui est à faire ou à ne pas faire, ce qui est permis ou licite, ce qui est attribué comme pouvoir aux uns et aux autres. Cet impératif qui lie au for externe (devant l'Etat et ses tribunaux) lie-t-il aussi au for interne? (devant la conscience) Il est clair qu'il faut répondre affirmativement si la loi coïncide avec la loi morale. Sinon ?

"Mais il faut aller plus loin et admettre, en principe, écrit Dabin, l'obligation de conscience même vis-à-vis de règles portées par la seule loi civile, en vertu de cette considération qu'il est dans la nature de l'homme de faire partie de la société politique et, par conséquent, d'observer les règles édictées par elle en accomplissement de sa fin humaine de bien public."

  • Caractère étatique

La règle doit être formulée par l'organe étatique compétent. L'organisme qui en a le pouvoir à l'intérieur de la dite société (profane, religieuse, etc.).
Caractère permanent
Elle demeure jusqu'à son abrogation ou son remplacement.

  • Caractère général

Cela ne signifie pas un droit en tous points uniforme, ce qui serai absurde. La règle s'applique à une catégorie ouverte de personnes; non à un individu ou des individus déterminés in concreto. (L'exception serait l'adoption d'un bill privé). La règle de droit lie tout le monde.

  • Caractère sanctionnable

Son observation est sanctionnée par la force (on ne peut en dire autant de la politesse ou de la morale) Ce caractère fait partie de l'essence du droit. La force, mise au service du droit, c'est la force publique (c'est la police, le huissier): nul ne peut se faire justice soi-même eut-il pour lui le bon droit. (Par contre le policier ne peut battre, corriger, venger etc)
D'autre part, si l'obéissance à la loi dépendait du bon vouloir des citoyens, l'ordre sociétaire serait mis en péril. Donc, le droit est un ordre de contrainte; mais ce n'est pas la force qui fait le droit:

"De ce point de vue, écrit Dabin, ce qui fait le droit, c'est l'ordre du souverain, auquel la force prête seulement son appui."

La contrainte publique revêt un caractère matériel frappant le récalcitrant dans sa personne ou ses biens. Ceci ne doit pas être laissé à l'opinion publique, car alors la règle serait désarmée et sans aucune force. Au-delà de ces caractéristiques du droit que reconnaissent aisément les juristes, il faudrait ajouter qu'un esprit anime l'ensemble de ces règles (les règles sont systématiques): c'est encore Dabin qui écrit:
"(...) Or, ces problèmes donnent naissance à un ensemble de dispositions agencées suivant un "esprit" qui est le principe animateur et fédérateur de l'institution envisagée. Par exemple les règles du mariage sont déduites de la conception philosophico-juridique que le législateur se fait du mariage au regard des époux, des enfants à naître et de la société tout entière. Entre les règles ainsi articulées existe une gradation dont la clé est fournie par la finalité de l'institution...etc."

II-Droit-morale-justice

Comparaison entre le droit, la morale et les moeurs
Dabin indique une série de traits qui distinguent le droit de la morale:

La morale dépasse le cadre sociétaire. L'homme a des devoirs à l'égard de Dieu, à l'égard de sa propre personne et à l'égard des autres hommes pris individuellement auxquels il doit la justice et l'entraide. Or, le droit n'a pas la charge de ces devoirs à moins qu'ils aient une incidence défavorable pour la société. (v.g. certaines obligations naturelles)

La morale gouverne aussi les intentions et les vouloirs: ce que le droit ne peut connaître à moins qu'ils ne soient extériorisés dans des actes ou des omissions observables. Le domaine du droit est donc beaucoup moins étendu que celui de la morale.
D'autre part, contrairement à la morale, sont assujettis à la règle de droit les groupements, personnes morales.

Le principe inspirateur de la morale se trouve dans la conscience humaine guidée par la vertu morale de prudence. Au contraire le droit est du dehors, imposé par l'autorité compétente.
Si la morale a ses sanctions, elle n'a pas de moyens de contrainte. L'exécution forcée d'un précepte moral lui enlèverait toute valeur. D'autre part, les mœurs considérées comme des convenances en usage dans une société donnée, sont différentes car elles n'entraînent pas d'obligation à moins que la loi ou la jurisprudence ne le spécifie: il ne s'agit plus alors de simple convenance, mais de droit.

La règle de droit et la justice

Le point de vue d'Aristote à ce sujet (nous y reviendrons plus loin) est fort intéressant et probablement juste. La justice particulière ( non pas générale qui, elle, est synonyme de sainteté, de perfection) est la fin de la règle de droit. L'égalité recherchée par la justice est géométrique en matière de distribution, et arithmétique en matière d'échanges de biens. Elle est en plus complétée par l'équité. Au fond le rôle du droit c'est de réaliser la justice particulière: rendre à chacun selon son dû (suum cuique tribuere) tel est l'idéal de justice que tend à réaliser le droit même dans ses compromis. Tout autre est le point de vue exprimé par G. Mure qui rappelle le caractère relatif de la justice.

"Presque toutes les révolutions qui ont changé la face des peuples ont été faites pour consacrer ou établir l'égalité" écrivait Tocqueville et Charles O'Connor, candidat à la présidence des E.U. en 1859, proclamait très sérieusement:

"L'institution de l'esclavage est juste, bienveillante, licite et convenable". Tout dernièrement en Chine on a tiré sur la jeunesse désarmée. Ce qui signifie que la réalité sociale est interprétée différemment selon les lieux, les époques et les idéologies. La justice des uns, note Mure, est l'injustice des autres. Mais même le droit injuste est du droit et doit être étudié et compris dans son espèce logique, écrit Delvecchio cité par Mure. On comprend mieux ainsi que le droit peut varier selon les systèmes nationaux.

III-Les fondements du caractère coercitif du droit.
L'un des problèmes fondamentaux de la philosophie du droit consiste à se demander d'où procède le caractère contraignant de la règle de droit. Certains proposent la loi naturelle et d'autre croient que cela s'explique par son aspect social.

Les théories du droit naturel

Aubert définit le droit naturel comme "un corps supérieur de règles idéales qui s'imposent à l'autorité publique lorsqu'elle fixe le contenu du droit positif, i.e. les règles applicables à une société et à un moment donné". On considère que l'autorité de la règle de droit vient de cette autorité supérieure du droit naturel. Ainsi, le sujet de droit pourrait résister à la loi injuste (contraire au droit naturel) parce qu'une telle loi manquerait de fondement. C'est ce qu'exprimait Antigone de Sophocle:
"...je ne croyais pas les édits, qui ne viennent que d'un mortel, assez forts pour enfreindre les lois suprêmes, les lois non écrites des dieux: ce n'est pas d'aujourd'hui ni d'hier, mais toujours qu'elles vivent et nul n'en connaît l'origine".
Cette conception est celle du thomisme et du néothomisme.

Pour d'Aquin (1225-1274) le droit naturel est distinct du droit divin sans lui être étranger. Il peut être découvert par la raison car il découle de la considération de la nature de l'homme et la nature des choses. D'où à la fois stabilité et souplesse. Certains accordent même un certain caractère d'universalisme et d'immutabilité au droit naturel. (École du doit naturel du XVIIe s.). Des juristes comme Gény tenant du droit naturel immuable le réduit à quelques principes sommaires; d'autres comme Stammler, admettent un droit naturel à contenu variable, une espèce d'idéal commun des peuples.

Le droit et le fait social

Au fond les théories suivantes récusent la théorie du droit naturel:
le positivisme juridique qui présente plusieurs variantes. L'idée principale est que la règle de droit est un donné qui s'impose en tant que tel: la règle s'impose parce qu'elle est la règle. Pour les uns le droit n'est pas une idée logique, mais une idée de force. "Tout droit dans le monde a dû être acquis par le combat" (Ihéring, Le combat pour le droit) ce qui justifie que la règle de droit s'impose à tous. Selon Kelsen: la valeur du droit positif est indépendante de toute norme de justice; chaque règle doit être conforme à la règle supérieure: l'arrêté au décret, le décret à la loi et la loi à la Constitution dont l'autorité est admise par hypothèse. "C'est aussi, écrit Aubert l'État qui se trouve érigé en source première de la règle de droit: c'est l'État qui fonde son caractère contraignant." Ce qui signifie que la règle vaut par elle-même excluant tout autre valeur. Système fermé, fait social autonome.
Ce positivisme juridique se distingue du positivisme sociologique (
Durkheim , Duguit) qui voit dans le droit un produit de la société:"Toute règle de droit -- comme toute institution juridique (État, Parlement, service public, mariage, adoption, etc. -- est fondée sur l'interdépendance des hommes vivant dans la société considérée, et plus précisément sur la norme de solidarité sociale qui découle de cette interdépendance." (Aubert). Donc, c'est l'adhésion du plus grand nombre à la norme édictée, et le sentiment de sa nécessité, qui établissent l'autorité de la règle de droit. La solidarité sociale est à la fois la source et la finalité de la règle de droit. Donc, on admet la légitimité d'un jugement de valeur sur le droit, contrairement au positivisme juridique.
L'approche marxiste est différente. La règle est un produit de la société mais elle est au service de la classe dirigeante dont elle sert les intérêts et protège les privilèges. L'aspect coercitif de la loi se situe dans la logique de la lutte des classes et de l'existence d'une classe dominante. "Mais cela même démontre que le droit n'est pas dans la nature des choses sociales; il n'est que le produit d'un certain type de société: celle où existe un affrontement de classe. Par suite, s'il ne saurait disparaître déjà dans la phase de transition vers le communisme, phase socialiste, parce qu'il doit alors assurer l'éducation de chacun (...) et défendre l'ordre nouveau, en revanche l'avènement du communisme, société véritablement sans classe, emporte l'extinction du phénomène juridique." (Aubert) voir le Manifeste du parti communiste.

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