Commençons par la théorie.
1.THEORIE DU SYLLOGISME JURIDIQUE
1.1. Généralités sur le syllogisme
Le syllogisme est un mode de raisonnement hérité d’Aristote. Il est utilisé
par les juristes. Ainsi pour régler un litige, le juge dit le droit applicable à une
situation de fait. De même l’avocat doit, pour conseiller ses clients,
observer les règles de droit applicables à l’espèce.
De manière générale, le syllogisme peut être défini comme une opération
intellectuelle par laquelle, du rapport de deux termes avec un même
troisième appelé moyen terme, on conclut à leur rapport mutuel.
Schématiquement :
Si A = B et que B = C, alors A = C
De nombreux exemples peuvent illustrer ce mode de raisonnement et
notamment :
Les hommes sont mortels. Or Socrate est un homme. Donc Socrate est
mortel.
1.2. Eléments constitutifs du syllogisme juridique
Le syllogisme juridique est une opération qui consiste à appliquer à une
situation de fait la solution prévue par une règle de droit.
Cette démarche se déroule en trois étapes :
- La majeure : elle est la ou les règles de droit(s) applicables à
l’espèce.
l’expliquer, c’est-à-dire préciser ses conditions d’application.
- La mineure : elle consiste en la confrontation de la règle de droit à la
situation de fait - La conclusion : Il s’agit d’exposer le résultat de la confrontation, en
précisant si la règle de droit s’applique ou non en l’espèce.
Abordons à présent le cas pratique même
2. Pratique
2.1. Recherche du syllogisme judiciaire
Recherchez le syllogisme dans cette décision de justice :
T..G..I.. Pariis,, ord..,, 11 jjanviier 1977
Nous, premier vice-président :
- Attendu que dans son numéro 1442 daté du
14 janvier 1977, l’hebdomadaire Paris-Match publie, page 39, une
photographie de l’acteur Jean Gabin sur son lit de mort ; que la veuve et les
enfants de l’acteur exposent que cette photographie a été prise à leur insu et
publiée sans leur autorisation, ce qui n’est pas contesté par l’éditeur du
périodique ; qu’ils requièrent l’application de l’article 9 du Code civil pour
faire cesser le trouble illicite constitué par cette publication en ordonnant la
saisie de tous les exemplaires de ce journal ; - Attendu que la société
défenderesse, Cogedi Presse, éditrice de l’hebdomadaire Paris-Match, résiste
à la demande ; - Attendu que le droit au respect de la vie privée s’étend pardelà
la mort à celui de la dépouille mortelle ; que nul ne peut sans le
consentement de la famille, reproduire et livrer à la publicité les traits d’une
personne sur son lit de mort, quelle qu’ait été la célébrité du défunt ; - Attendu qu’en publiant la photographie incriminée, la société défenderesse a
excédé ses droits d’informateur et porté aux droits des demandeurs sur
l’image de Jean Gabin une atteinte que ne peuvent justifier les nécessités de
sa profession ; qu’il s’agit, en l’espèce, d’un abus de la liberté de la presse
par la recherche du sensationnel qui, sans rien ajouter d’utile à l’information,
constitue une immixtion intolérable dans l’intimité du disparu et de sa
famille, alors que Jean Gabin avait voulu échapper, comme le porte le
commentaire accompagnant la photographie, « à une admiration posthume
qui lui faisait horreur » ; qu’ainsi, y-a-t-il lieu de faire cesser le trouble
illicite causé par cette publication qui n’est pas susceptible d’être réparé par
l’attribution de dommages-intérêts ; - Par ces motifs, vu l’urgence ; Autorisons les demandeurs à faire procéder par
tous huissiers de leur choix, à la saisie des exemplaires du numéro 1442 de
l’hebdomadaire Paris-Match, daté du 14 janvier 1977.
Solution :
Majeure : chacun a droit au respect de l’intimité de sa vie privée et peut
demander que cessent les atteintes à ce droit.
Mineure : la publication non autorisée de l’image d’un défunt constitue
une atteinte à l’intimité de la vie privée.
Conclusion : la saisie des journaux contenant une telle publication est
justifiée.
2.2. Résolution de mini-cas
L’objectif de ces mini-cas est de vous permettre de mieux saisir le
raisonnement qui est attendu de vous dans le cadre du cas pratique :
- Cas pratique n°1 :
Rose a seize ans et elle désire se marier avec David qui a vingt ans . Ses parents ne sont pas d’accord.
Ellevient vous consulter.
Solution :
Majeure : Il résulte d’une analyse combinée des articles 144 et 148 du
Code civil que l’homme et la femme avant dix-huit révolus ne peuvent
contracter mariage. Toutefois, les mineurs peuvent contracter mariage
avec le consentement de leur père ou de leur mère.
Mineure : David a vingt ans mais Rose n’a que seize ans. Elle doit
donc obtenir le consentement d’au moins l’un de ses parents. Or ces
derniers ne sont pas d’accord avec ce projet.
Conclusion : Rose ne peut donc pas se marier avec David à ce jour.
- Cas pratique n°2 :
Julie, orpheline de dix-huit ans, a signé un contrat de vente de sa moto
pour un montant très faible, sous les menaces répétées de porter atteinte à
son intégrité physique de Franck dont elle a très peur.
Elle vous consulte
pour savoir s’il est possible de remettre en cause ce contrat.
Solution :
Majeure :
Aux termes des articles 1111 et 1112 du Code civil, la
violence est une cause de nullité du contrat. La violence est une
contrainte morale, pouvant consister en des menaces d’ordre physique ou
d’ordre moral. Elles peuvent viser l’intégrité physique du contractant, de
ses proches ou de ses biens. Pour être une cause de nullité du contrat, les
menaces, qui peuvent émaner du contractant ou d’un tiers, doivent être
de nature à impressionner la personne. Cet effet de la violence est
apprécié in concreto, en fonction de l’âge, du sexe et de la condition de
la personne.
Mineure :
Dans le cas d’espèce, la violence consiste en des menaces d’ordre
physique puisque Franck menace de porter atteinte à l’intégrité physique
de Julie. Il semble que compte tenu de la situation de fragilité de Julie,
qui n’a que dix-huit ans et qui est sans famille pour la soutenir, elle
puisse être impressionnée par les menaces de Franck.
Conclusion : Par conséquent le contrat est nul pour violence.
La théorie et le cas pratique étant ainsi étudiés, voici à présent la méthodologie du cas pratique.
3. Méthodologie du cas pratique
Pour résoudre un cas pratique, plusieurs étapes doivent être observées :
1ère étape : Comprendre le cas posé :
Le cas pratique est l’exercice du praticien consulté par un client qui est
par définition un non-juriste. Il peut vous expliquer sa situation en
donnant des éléments sans intérêts et dans un langage courant. Il est
important de lire plusieurs fois le cas pratique. La première lecture a pour
but de prendre une connaissance globale de l’affaire. La seconde doit
être plus attentive. Il faut souligner les termes, les dates, les chiffres et
tous les éléments pertinents.
2ème étape : Analyse du cas :
Lorsque vous analysez le cas, soyez très attentifs à deux points. Il faut
vous méfier de l’avis du client qui n’est pas un juriste et qui peut donner
des indications fausses. A l’inverse, certains éléments nécessaires pour
que vous puissiez donner une réponse exacte peuvent faire défaut. Il faut
alors envisager toutes les hypothèses. Par exemple, dans le mini-cas n°1 :
Si Juliette ne vous avait pas précisé que ses parents s’opposaient à son
projet de mariage, il aurait fallu envisager deux hypothèses. Soit ses
parents ou l’un d’eux donne son consentement et elle pourra se marier ;
soit ils s’opposent tous les deux au projet et elle ne pourra pas se marier.
Pour être certain de bien comprendre les événements, il peut être utile de
faire apparaître la chronologie des événements sur un schéma. Il faut
tracer la ligne du temps et y porter la date de chaque événement
important, des actes juridiques et la durée des délais…. Tous les
éléments doivent apparaître en termes juridiques. Il s’agit de l’opération
de qualification. « La qualification juridique est l’opération par laquelle
le droit appréhende les comportements, les situations et les faits qu’il est
amené à examiner ». Elle permet de rendre compte juridiquement d’une
situation ou d’un fait en le rattachant à une catégorie qui sert de modèle.
Le rattachement à une catégorie de référence abstraite détermine
l’application d’un régime juridique.
3ème étape : Découvrir et situer les questions
Lorsque vous avez parfaitement compris la situation de fait, il faut
essayer de la rattacher à des notions ou à des mécanismes juridiques dont
vous avez traité en cours. Le cas pratique peut être plus ou moins orienté.
Dans certains cas, des questions sont posées, il vous suffit d’y répondre.
Dans d’autres cas, aucune question n’est posée à l’issue de la lecture des
événements, il vous appartient alors de rechercher ses questions.
4ème étape : Identification des règles de droit applicables
Lorsque vous avez déterminé les questions qui se posent, vous devez y
répondre. Pour ce faire, il faut déterminer les règles de droit applicables.
Il faut faire l’inventaire de toutes les règles possibles et vérifier chaque
fois si toutes les conditions d’exercice requises sont remplies. Toutes les
règles doivent être notées au brouillon. Vous déterminerez ainsi quelles
sont les règles qui peuvent s’appliquer avec certitude, celles qui sont
moins certaines et celles qui ne pourront pas être invoquées avec succès.
La détermination des règles de droit applicables se fait en général grâce
au cours que vous avez eu sur la matière concernée et au Code civil. Il
faut donc bien connaître son cours et vous habituer à travailler avec un
Code.
5ème étape : Vérification de l’application de la règle aux faits
La consultation doit être impartiale. Il faut donc donner des conseils
corrects et indiquer tous les obstacles qui peuvent se présenter et les
arguments contraires qui peuvent être opposés par l’adversaire. Mais cela
n’exclut pas une part d’appréciation. Entre deux ou plusieurs solutions
possibles, vous devez préciser la solution que vous recommandez plus
particulièrement, soit en fonction des chances de succès, soit en fonction
des effets de l’une ou de l’autre.
6ème étape : Rédaction du cas pratique
Lorsque les solutions sont trouvées et vérifiées, il convient de rédiger le
cas pratique.
Le cas pratique commence par un résumé des faits pertinents. Vous
pourrez rédiger à partir de votre axe des temps. Vous devez qualifier les
faits juridiquement. Par exemple : Bérengère a acheté une moto le 10
février 2001 à Bertrand. Bérengère n'a pas payé le prix. Les faits dans le
résumé sont : un contrat de vente d'un bien mobilier a été conclu.
L'acheteur n'a pas payé le prix. Après le résumé, il faut énoncer dans
l'ordre logique les questions de droit qui se posent. Puis vous devrez
répondre dans l'ordre à ces questions selon le raisonnement du
syllogisme juridique.
L’étudiant doit donc toujours rédiger, relativement à une question, dans
l’ordre suivant :
La majeure, c’est-à-dire le principe applicable à l’espèce. Il faut
commencer par énoncer le principe en indiquant le numéro de l’article ou
la loi concernée ou la décision de justice…, puis expliquer le contenu de
ce principe (condition d’exercice, interprétation de l’article par la
doctrine ou la jurisprudence).
La mineure, c’est-à-dire l’application de la majeure aux faits de l’espèce
La conclusion.
A la fin du devoir, il est parfois bon de reprendre clairement toutes les
solutions dégagées en quelques lignes.
Voici pour vous un exercice d'application
4. Exercice d’application
Concernant le cas pratique, les méthodes peuvent également variées. Une
méthode vous est proposée dans la correction de ce cas pratique, vérifiez
qu’elle correspond à celle que vous a expliquée votre assistant de travaux
dirigés.
4.1. Enoncé
Luc, âgé de 49 ans, décède brutalement d’une crise cardiaque le 4
décembre 2001. Sa femme, Emmanuelle, avec laquelle il est marié
depuis 20 ans et avec laquelle il n’a jamais pu avoir d’enfant, se retrouve
seule à Lyon. Quelques jours après le décès, les deux frères de son mari,
avec lesquelles elle n’a jamais eu de bons rapports, lui disent qu’elle va
se retrouver sans aucune ressource. En effet en présence de frères et
sœurs, le conjoint survivant aux termes de l’article 767 du Code civil n’a
qu’un droit d’usufruit de moitié sur la succession. Emmanuelle est
inquiète car l’essentiel des biens appartenaient à son mari car ils étaient
mariés sous un régime de séparation de bien et qu’elle ne travaillait pas.
Une loi nouvelle du 3 décembre 2001 réformant le droit des successions
prévoit que le conjoint survivant, quelle que soit l’identité du propriétaire
du logement familial pourra y rester pendant un an, la succession devant
en assumer le coût. De plus, aux termes de cette loi nouvelle, le conjoint
survivant prime désormais les collatéraux privilégiés, c’est-à-dire les
frères et sœurs du défunt.
Emmanuelle vous consulte pour savoir si elle peut bénéficier de cette loi.
Vous supposerez que la loi nouvelle ne comporte pas de dispositions
transitoires.
4.2. Proposition de correction
- Travail au brouillon :
Au terme de la première lecture, vous devez repérer qu’il s’agit d’une
hypothèse de conflit de lois dans le temps.
Au terme de la seconde lecture, vous devez souligner les éléments
pertinents du cas pratique. Vous pouvez à ce stade effectuer un axe sur
lequel vous replacerez ces éléments :
3 décembre 2001 4 décembre 2001 ?
Loi nouvelle Décès de Luc Date d’entrée en
vigueur de la loi nouvelle
Il faut toujours situer dans cet axe lorsqu’il s’agit d’un problème de
conflit de lois dans le temps, la date d’entrée en vigueur de la loi
nouvelle. Il ne faut pas confondre la date indiquée de la loi nouvelle qui
est la date de promulgation et la date d’entrée en vigueur qui est
postérieure à la date de promulgation.
- Rédaction
Luc est décédé le 4 décembre 2002, laissant sa femme et deux frères. La
loi ancienne prévoyait qu’en présence de collatéraux privilégiés, le
conjoint survivant n’a droit qu’à un droit en usufruit de moitié sur la
succession. Une loi nouvelle du 3 décembre 2001 améliore le sort du
conjoint survivant. Il prime les collatéraux privilégiés.
La question qui se pose est de savoir si Emmanuelle, le conjoint
survivant peut bénéficier de la législation nouvelle.
Majeure:
En l’absence de dispositions transitoires (ceci est fictif), il
résulte de l'article 2 du Code civil que la loi nouvelle s'applique de
manière immédiate et non rétroactive. Lorsqu’il s’agit de situations
juridiques extra-contractuelles, trois hypothèses doivent alors être
distinguées :
- Si la situation juridique est née et est éteinte antérieurement à l'entrée
en vigueur de la loi nouvelle, cette situation reste soumise à la loi
ancienne.
- si la situation juridique est née postérieurement à l'entrée en vigueur de
la loi nouvelle, cette situation est soumise à la loi nouvelle.
- Enfin si la situation juridique est née antérieurement à l'entrée en
vigueur de la loi nouvelle, mais qu'elle continue à produire des effets
postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, la loi ancienne
régira la formation et les effets passés de cette situation. En revanche, les
effets futurs seront soumis à la loi nouvelle.
Mineure:
En l’espèce, la situation est extracontractuelle, s’agissant des
droits dont sont titulaires les héritiers du fait du décès de Luc. Il reste à
déterminer si cette situation est éteinte, en cours ou nées postérieurement
à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. La date d’entrée en vigueur de la
loi nouvelle doit donc être précisée. Cette date ne doit pas être confondue
avec celle indiquée dans l’énoncé. Le 3 décembre 2001 correspond à la
date de promulgation de la loi nouvelle. Il faut attendre un jour franc à
compter de la parution du journal officiel contenant la loi pour qu’elle
entre en vigueur à Paris et en Province un jour franc après l’arrivée du
journal officiel au chef lieu d’arrondissement. Cette date sera selon toute
vraisemblance postérieure à la date du décès. La situation étant éteinte au
décès de la personne, la situation juridique est éteinte le 4 décembre
2001, soit antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle.
Conclusion:
Par conséquent, la loi nouvelle ne s’applique pas à la
situation d’Emmanuelle, qui ne pourra pas bénéficier des dispositions
protectrices de la loi. Elle n’aura donc qu’un droit d’usufruit de moitié
sur l’ensemble de la succession aux termes de l’article 767 du Code civil.
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